Robida par Félicien Champsaur (2)

Publié le par Erwelyn

(début)

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caricaturiste des élégantes, habite à Argenteuil, loin du demi-monde que charge son crayon, une maison tranquille. Il a lâché Belleville, longtemps il a demeuré. Robida qui est à Compiègne en 1848, fut d'abord clerc de notaire, mais ses camarades lui faisaient toute sa besogne parce qu'il leur troussait des dessins. Un matin, en 1866, il tenta hardiment la fortune, vint à Paris, emportant comme bagages un carton plein, se présenta chez Cham qui lui donna une lettre pour Philippon. Robida entra tout de suite à ce journal bien nommé le Journal amusant. Bientôt il collabora à d'autres feuilles encore : Paris-Comique, Paris-Caprice. La guerre contre la Prusse éclata. Robida fut, au 4 septembre, membre de la commission municipale du vingtième arrondissement jusqu'au 31 octobre. C'est M. Braleret qui était maire de Belleville. Comme, de temps en temps, des exaltés venaient assiéger la mairie, Robida avait conseillé de jeter des bustes de Napoléon III à la foule ; ça la calmait. Rentré dans la vie privée, le caricaturiste collabora à un canard de l'époque que dirigeait Bachelin-Deflorenne la Chronique illustrée.
Pour payer ses rédacteurs, Bachelin les couchait et les nourrissait dans son bureau. Les derniers jours de la Commune furent terribles. Robida avait pour camarades, dans sa compagnie, des enragés qui fusillèrent les otages, et peut-être on se fût défié de son civisme, si un ami du Comité central ne lui avait envoyé, par intervalles, un dragon pour lui remettre un pli cacheté. C'était simplement un ordre de venir siroter, au café de Madrid, une absinthe au nom de la Commune. Ces absinthes sauvèrent Robida des suspicions bellevilloises. Après la guerre, il entra à un journal il a publié, pendant près de dix ans, jusqu'en 1880, avec une fécondité inépuisable, des dessins étonnants de verve et de brio : la Vie parisienne. En 1873, il fit une échappée et partit pour l'Autriche, et, six mois durant, il illustra un journal de Vienne Der Floh. Les collaborateurs se réunissaient deux fois par semaine, autour de la table de rédaction chargée de saucisses et de bocks, et ils discutaient gravement les fantaisies les plus follement parisiennes en buvant des bocks, en mangeant des saucisses.
En quittant Vienne, Robida suivit, pour retourner à Paris, les chemins les plus longs, et prit ainsi le goût des voyages. De ces excursions, trois volumes sont nés, dont Robida a fait le texte et les dessins : les Vieilles villes d'Italie, les Vieilles villes de Suisse, les Vieilles villes d'Espagne. Dans ses impressions, l'auteur manque parfois d'enthousiasme, mais il a de la gaîté toujours et de l'ironie parisienne. Il en a surtout, avec une haute dose de caprice, dans un roman merveilleux comme un conte de fées : Voyage très extraordinaire de Saturnin Farandoul, dans les cinq ou six parties du monde et dans tous les pays connus et même inconnus de M. Jules Verne, Texte et dessins sont toujours de Robida. Rien n'est plus joli que l'idylle de Farandoul avec Mysora la fille du rajah de Timor, qui, pour éviter les émissaires de son père, a accepté des rendez-vous d'amour en scaphandre dans les flots océaniens.
Le tableau est indiqué. Si cela était tout à fait bien écrit, ce serait de la poésie. Robida, qui paraît avoir cent mains pour travailler, comme Argus avait cent yeux, est rédacteur en chef d'un journal très parisien : la Caricature.
Et son illustration mirifique des oeuvres de Rabelais ?

                                                                               ***

Robida a
le désintéressement de tout ce qui n'est pas parisien, d'un parisianisme restreint. Les femmes qu'il
montre en Australie, à New-York, au pays des pagodes ou dans la lune, sont les mêmes qui soupent dans les cabarets à la mode du boulevard des Italiens et du boulevard des Capucines, qui habitent des hôtels gentils aux Champs-Elysées ou des entresols autour de la place de l'Europe, 
Robida est l'amant des choses futiles et le peintre d'un petit pays. 11 va au théâtre des Variétés, mais jamais, à moins que ce ne soit pour rire, dans un théâtre de drame sombre. Il est élégant, et il a le royaume des grues. Certes, Pan le satyre, qui glissait les sèves et les passions dans les veines, est trépassé ! Jadis, furent en Grèce des « épinglées », qu'on nommait les hétaïres. Charmantes de compassion pour les rêveurs, elles étaient les amies de ces éplorés et les amoureuses de ces amoureux immortels des rythmes. Mais les épinglées préfèrent, avec raison, aux poètes, les huîtres. Les naïades de l'Èbre, accompagnées du cortège des nymphes de Thrace, ont pleuré la mort d'Orphée. Depuis, l'âme des hétaïres a expiré. Elle a expiré sur les lèvres de Socrate, que chérissait Aspasie, de César, de Pétrarque, de Dante, de Louis XIV, du duc de Lauzun, du duc de Richelieu, de tous les grands amoureux. Quelle femme a consolé Musset, le poète de la femme et de l'amour ? 
Il ne faut défendre les poseurs de lapins. L'oeuvre de Robida est la parodie de la femme de la fin du dix-neuvième siècle, de la femme telle que l'a faite le besoin des luxes. Dans cette oeuvre, conçue par la plus étourdissante imagination, inspirée par la plus crevante réalité, grouillent, en un pêle-mêle artistique, les têtes de gommeux aux poils qui ramènent, et, parmi les silhouettes des habits noirs, éclatent les chevelures noires ou fauves des épinglées, s'allongent leurs jambes frissonnantes sous les bas de soie, se gonflent leurs seins qui fuient dans les corsages. Au milieu du tohu-bohu, qui fait songer à une assemblée d'impures autour de la corbeille des agents de change, parmi les orgies des formes, parmi les éclairs des yeux aux longs sourcils, parmi les zigzags des attitudes langoureuses et extraordinaires, les croupes saillent comme la nuit, les étoiles dans le ciel. 
C'est très chic. 

                                                                                FIN
 

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